« Les préjugés à l'endroit des chevaux de l'Ouest canadien. »


1. Des idées bien ancrées.
 
Du début du XX e siècle jusqu'en 1960, plusieurs commerçants de chevaux québécois faisaient venir des chevaux de travail de l'Ouest canadien par train. Ces chevaux étaient destinés aux chantiers et avaient la réputation d'être "tough" à l'ouvrage. La plupart n'étaient pas dressés et les "gars de bois" avaient du pain sur la planche avant de pouvoir gagner leur vie avec ces "West". Si vous connaissez des bûcherons de plus de 70 ans, ils pourront vous raconter des anecdotes, parfois savoureuses, souvent difficiles à supporter tellement les conditions de vie dans les chantiers étaient pénibles. Bien sûr, les temps ont changé, mais la réputation de ces chevaux de l'Ouest laissés en liberté et non manipulés les poursuit toujours.


A l'avant-plan, quelques belles juments Paint enregistrées se préparant pour leur périple via Québec.
Au loin, troupeau de 150 chevaux au pâturage dans un ranch de Peace River, Alberta.

 
2. Les faits.
 
A l'automne 2002, suite à la lecture d'articles de journaux évoquant une sécheresse majeure dans les Prairies canadiennes, je décidai de me rendre sur place pour un constat réel. Je pris contact avec un rancher de Peace River au nord de l'Alberta. En fait, la sécheresse ne touchait qu'une bande d'environ 100 km en plein centre des 3 provinces de l'Ouest.


Comme vous pouvez le constater, le foin est abondant en Alberta.Notez qu'il s'agit ici de balles rondes de 5' X 6'.


Bien sûr, cela eut pour conséquence de faire augmenter le prix des fourrages. Et certains éleveurs touchés prirent la décision de se départir de plusieurs chevaux. Mais le prix des chevaux resta le même de l'automne 2002 jusqu'à aujourd'hui.

Seulement en Alberta, d'août à novembre il se vend pas moins de 6000 chevaux par mois dans des encans spécialisés de ranchs. Les Albertains sont très fiers de dire que leur province compte plus de chevaux que toutes les autres provinces réunies. C'est vous dire ! Et la qualité n'est pas à dédaigner : Peppy San, Doc Bar, Doc O'Lena, Dash for Cash, Go Man Go, Two D Two, Two Eyed Jack, Impressive, Sonny Reynold's, Three Bars, Joe Hancock, Joe Quincy, Freckles Playboy, Easy Jet, etc. sont les "breedages" les plus populaires.


Tuesday Wisches, jument QH enregistrée de 5 ans achetée à un encan spécialisé de ranchs en Alberta.

La souche des chevaux de l'Ouest canadien provient des meilleurs étalons QH des Etats-Unis. Mais ils ont développé des lignées bien spécifiques. Leurs chevaux sont plus massifs, jouissent de bons aplombs, de membres solides. Les Albertains préfèrent travailler avec un gelding de 16 mains pesant plus de 1300 lbs. Ils possèdent de nombreuses poulinières qui donnent des rejetons à chaque année.


Aperçu d'un troupeau de 50 juments poulinières avec leurs poulains.


Malheureusement, un grand nombre se retrouvent à l'abattoir de Fort McLeod, à l'extrême sud de l'Alberta. On peut apercevoir, d'ailleurs, sur le bord de l'autoroute, un parc, le Summerview Livestock, où on engraisse à l'année longue plus de 6000 chevaux pour le marché européen. 1200 chevaux sont abattus à chaque semaine.


Le parc d'engraissement Summerview Livestock à Fort McLeod.
 
3. Différence entre un cheval québécois et un cheval de l'Ouest ???
 
Avouons-le, les chevaux de l'Ouest canadien n'ont pas très bonne réputation chez les cavaliers québécois. On les dit difficiles à dresser, sujets à se cabrer, dotés de caractères imprévisibles. En gros, ils ne seraient pas très fiables. Pourtant je peux vous assurer, par expérience, que tel n'est pas le cas. Par exemple, lorsqu'on présente dans un encan spécialisé de ranchs en Alberta, un cheval avec 30 jours d'entraînement professionnel, vous pouvez l'acheter en toute confiance. Il est mieux dressé que 50 % des chevaux présents dans nos randonnées. Alors imaginez celui qui jouit de 60 jours d'entraînement : pivots, changement de pied, base de reining, etc. font partie de ses routines.

       
Skyline Mack Banjo, gelding Paint enregistré de 4 ans provenant du Skyline Ranch, Alberta.                                                                             Oui! oui! c'est un cheval qui vient de l'Ouest canadien.                     
 
On pense que tous les chevaux de l'Ouest canadien sont des chevaux sauvages. Bien sûr, un cheval de 4 ans qui n'a pas été manipulé, ne connaît pas le licou ou n'a jamais eu les sabots taillés est plus difficile à débourrer. Qu'il provienne du Québec ou de l'Alberta. La différence vient du fait qu'on dénombre plus de chevaux dans l'Ouest qu'au Québec.
 
4. Manipulation et entraînement.
 
Il n'y a pas si longtemps, on DRESSAIT un cheval. On le dominait, on le matait par la force; on le privait de nourriture pour l'affaiblir et on l'épuisait de telle sorte qu'il fléchisse sous la main de l'homme. Heureusement, des hommes de cheval comme M. Roberts, P. Parelli, C. Cox, T. Anderson, pour ne nommer que ceux-là, sont venus changer la donne. Ces spécialistes ont introduit les notions de psychologie du cheval, de rapport de confiance entre l'homme et le cheval. Il importe dorénavant de ne pas brûler les étapes et de savoir observer le cheval chez qui on a identifié des signaux révélateurs : le cheval baisse la tête, "mâchonne" avec sa bouche, le regard, le port des oreilles, etc. On parle maintenant d'entamer un cheval. On travaille AVEC le cheval.


Cheval QH entamé sur place dans un ranch d'Alberta à plus de 30 degrés C.
Il est primordial d'établir un lien de confiance entre le cheval et l'homme.

 
5. Quelques anecdotes.
 
A l'automne 2003, j'achetais 47 chevaux à un encan spécialisé à Dawson Creek, en Colombie-Britannique. Plus de la moitié étaient débourrés ou "ridaient"; une douzaine avaient des papiers d'enregistrement QH et Paint. Dans le lot, on comptait 11 poulains du printemps et aussi une dizaine de juments poulinières provenant d'un ranch de Fort St-John. Certaines avaient été à peine manipulées; quelques-unes pas du tout.
 
En mai 2004, un client se présenta au ranch et choisit une pouliche Paint de 15.1 mains, 1200 lbs âgée de 3 ans qui n'avait pas encore trouvé preneur. Comme elle n'avait pas de licou et ne se laissait pas approcher, on l'attira dans l'écurie. Après avoir bien fermé la porte, je la fis entrer dans un box, lui enfilai un lasso, puis un licou. On la sortit dans le ring extérieur à 2 hommes : l'un avec le lasso d'un côté, le 2e avec une laisse la chaîne en dessous du licou de l'autre côté. Une fois dans le ring, je lui appris à longer et au bout de 15 minutes, elle suivait à la laisse. Pendant que le client la tenait en laisse, je lui mis délicatement un tapis et une selle. Ensuite, je la fis longer avec la selle et au bout de 10 minutes, elle se laissait monter. La séance avait duré un peu plus d'une heure à partir du moment où la jument était entrée dans l'écurie. Le client acheta la pouliche et continua son débourrage avec succès. C'était l'histoire d'une jument sauvage de l'Ouest !
 
A l'automne 2002, un premier arrivage de 26 chevaux adultes débarquait à St-Jean de la Lande en Beauce. Parmi ces chevaux se trouvait un magnifique gelding QH noir de 3 ans. Il était très familier et aussi bien débourré. Un client local me donna un bon prix. Au bout de 2 mois, je rachetai le cheval, son propriétaire devant partir travailler dans le nord de la province. Mais à ma grande surprise, le cheval ne se laissait plus approcher et était devenu ombrageux. J'entrepris de travailler avec lui de façon intensive. Mais ce ne fut pas facile, croyez-moi. Après un mois, le cheval avait repris un peu de confiance, mais demeurait nerveux si je ne le montais pas régulièrement. Que s'était-il passé ?  J'ai appris, cet été, 8 ans après, que parce que le cheval se faisait prier pour entrer dans sa nouvelle demeure, son propriétaire l'avait poursuivi pendant plus de 2 heures avec une motoneige !!!
C'était l'histoire d'un cheval de l'Ouest faisant la connaissance  d'un cavalier du Québec !!!
 
Pour terminer, il faut faire le voyage dans l'Ouest du pays pour se rendre compte que nous avons beaucoup à apprendre sur le monde des chevaux en général. Parce qu'en fait, on apprend de chaque cheval avec qui on travaille.


Cowgirls conduisant des animaux de boucherie dans les corrals à l'encan de Dawson Creek, Colombie-Britannique.
 
N'hesitez pas à me faire part de vos commentaires et à me poser vos questions à ranchdesnoyers@hotmail.com
 
Chronique du mois de décembre : Apprivoiser, manipuler et débourrer un Mustang.